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Épisode 5 : Mélodie déchaînée

J'ai cru me retrouver quarante ans en arrière, quand la lessive était suspendue sur la corde à linge dans l'arrière-cour, chaque vêtement ondulant dans la brise légère. Je me souviens plongeant sous les pans de linge alors qu'ils se soulevaient et retombaient dans le vent. C'était une vision toute colorée, que le sèche-linge élimina de ma vie des années plus tard. Mais plus maintenant. Sa chambre de couture était ornée de rubans de linge, et tandis que je plongeai sous les minuscules étendards, je me demandai à quelle époque je me trouvais.

"Attention," dit-elle alors que je frôlais une ligne drapée de couleur. Elle avait levé les yeux lorsque j'étais entré, mais elle était maintenant retournée à sa machine à coudre, la machine ronronnant régulièrement, une chaîne de morceaux lavés se déroulant à l'arrière de la machine à coudre.

"Es-tu en train de sécher le linge ?" demandai-je. Elle stoppa la machine, aiguille en position basse, probablement pour protéger le nouveau monde qu'elle était en train de coudre.

"Assemblage à la chaîne, "dit-elle. "J'ai appris cela en cours. Certaines personnes appellent ça chaînage ou assemblage en ligne." Elle me donne toujours des petits cours de couture.

"Ça ressemble à une ligne de vêtements," dis-je.

"Tous les morceaux sont assemblés ensemble. Ça économise du temps et des tonnes de fil."

"Combien de temps ?" Il fallait d'abord lui poser cette question. Les questions sérieuses viendraient ensuite.

"Des heures. Des jours. Peut-être des mois. Je ne sais pas encore. Je suis une débutante." Elle glissa la main sous la longue bande de tissus qui était sortie de sa machine. "Ils sont tous cousus ensemble sans les couper chacun au fur et à mesure que je couds, " expliqua-t-elle. "Ce serait la méthode lente."

"Oh," dis-je, comme si je comprenais. Je hochai la tête et me retournai pour regarder les cordes à linge. Pour sûr, il n'y avait que des minuscules carrés cousus les uns aux autres. Ce qui semblait au premier coup d'œil être de petites robes ou des pantalons ou des sous-vêtements ou des peignoirs de coton n'était en réalité que plusieurs morceaux de tissus carrés de 6 cm cousus ensemble, un groupe après l'autre, après l'autre,... "Ça ne ressemble pas à un patchwork," dis-je.

"Pas encore," dit-elle.

"Mais ce sera ?"

"Ce seront des carrés. Beaucoup, beaucoup de carrés."

"Ils ressemblent à de minuscules vêtements," dis-je.

"Ce ne sont pas de petits vêtements," dit-elle avec impatience. "Je dois les séparer en les coupant, et les recoudre ensemble."

"Combien de fois ?"

"Environ un millier de fois, je pense. Peut-être plus."

"Et alors tu auras un quilt ?"

"Non, j'aurai alors 25 grands carrés, chacun composé de neuf petits carrés."

"Et alors quoi ?"

"Alors j'aurai ma deuxième leçon. Je n'y suis pas encore."

"Mais tu l'auras ?"

"La semaine prochaine."

"Comment sais-tu dans quel sens tu dois les coudre ensemble ?" ai-je demandé.

"C'est la partie difficile."

"De connaître l'est et l'ouest et le sud et le nord ?"

"De connaître le sens des aiguilles d'une montre et le contraire des aiguilles d'une montre et l'avant et l'arrière."

Je ne commentai pas la dernière partie.

"Pourquoi as-tu choisi ces couleurs ?"

"Elles vont ensemble," dit-elle.

"C'est très joli la façon dont elles vont ensemble, " dis-je, "mais ça ressemble vraiment à une longue corde à linge avec de petits vêtements suspendus." Je n'étais pas prêt d'abandonner mon idée. J'ai testé mes sens en les regardant. Je les ai touchés. J'ai bien vu des petites chaînes de points les reliant l'un à l'autre. C'était des morceaux de tissus pleins de couleurs. Mais ils ressemblaient à ma corde à linge d'autrefois dans l'arrière-cour.

"Tu ne vois aucune pince à linge, n'est-ce pas ?"

"Elles sont probablement trop minuscules pour être visibles."

"N'est-ce pas toi qui deviens trop minuscule pour voir ?" dit-elle. Elle appuya son pied sur la pédale. L'aiguille monta et descendit à nouveau. Vite. Elle alimenta la machine de tissu et fabriqua davantage de carrés.

"Hum," dis-je en repartant. "Tu es enchaînée à cette machine."

"Assemblage à la chaîne," dit-elle. "Et toi tu appartiens à une chaîne de forçats."

"Je crois que je vais m'enchaîner au dîner," dis-je, baissant la tête en sortant, me demandant si le blanc de la viande de poulet allait bien avec le vert des petits pois et le brun de la sauce. Et je me demandai à quoi ressembleraient les plats présentés en carrés. "J'ai une idée géniale pour un quilt !" ajoutai-je, mais elle ne sembla pas m'entendre. Pas le moindre mot.

Copyright 1998 by A.B. Silver pour la version originale en anglais.
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